samedi 10 avril 2010

Ni flics, ni indics: journalistes

Les journalistes ne doivent pas se mettre dans une situation où ils doivent dénoncer des criminels pour rester dans la légalité.




Comment expliquer à des citoyens peu au fait du monde des médias qu'un journaliste n'a pas à dévoiler ses sources, encore moins à prendre l'initiative de dénoncer des malfaiteurs, des malfaisants et autres criminels, fussent-ils des pédophiles?

C'est le débat suscité par l'émission de France 2 «Les Infiltrés», où des confrères qui cachaient leur identité de journaliste ont rencontré et interrogé des pédophiles qu'ils ont ensuite dénoncés à la police. L'intérêt et le mérite de l'émission ne sont pas en jeu et l'ensemble (une minutieuse enquête d'une année et un débat animé par David Pujadas) pourrait même être qualifié d'utile. Dans la tradition d'un grand service public.

La qualité de cette enquête rend notre argumentation plus difficile à faire partager. D'autant que l'article 434-1 du code pénal s'impose à tout citoyen. Il précise que «le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende».
Assistance à personne en danger

Les réactions des Français qui se sont exprimés dans les journaux ou les blogs sont quasiment unanimes. Résumons-les en deux phrases: «Aucune corporation ne bénéficie de cartes spéciales les plaçant au-dessus des lois.» Ou encore: «Les dénonciations portent un nom: assistance à personne en danger.»

Nous ne jugerons pas, ici, l'attitude des confrères qui, en conscience, se sont sentis moralement obligés de dénoncer des pédophiles qui allaient passer à l'acte. Nous aurions peut-être agi comme eux. Pris dans le feu de l'émotion, de l'écoeurement et de la révolte après un an d'enquête sur les réseaux de pédophiles, la réaction citoyenne est peut-être de ne pas rester un simple observateur de ces crimes.

Mais le débat ne porte pas, pour nous journalistes, sur la seule dénonciation. Nous savons que chaque situation est particulière et entraîne une réaction individuelle particulière qui dépend de la conscience de chacun. Il n'existe, sur un tel sujet, ni dogme ni tabou dans la profession mais des situations que l'on règle au cas par cas. Et chaque citoyen n'oublie pas, en effet, la loi de juin 1998 sur la protection des mineurs.
Ne pas se mettre dans une telle situation

Notre débat, à nous responsables d'une association intitulée «Reporters sans frontières», est de nous interroger sur ce qui a conduit nos confrères à agir ainsi, à se mettre dans une situation telle qu'ils ont dû, en conscience, dénoncer des pédophiles pour sauver des enfants.

La conscience du journaliste, ce n'est pas seulement de s'interroger sur la dénonciation éventuelle d'un crime putatif à seule fin de l'éviter. À ce compte, il faudrait dénoncer systématiquement et nommément, les esclavagistes d'enfants, les braqueurs de banques, les dealers de drogues dures, etc.

La conscience professionnelle du journaliste, c'est aussi et d'abord de ne pas se mettre, avec les moyens qu'utilise la police, dans des situations où il deviendra inévitablement un auxiliaire de celle-ci. C'est la manière de recueillir l'information qui a posé problème. Le journaliste doit se demander, en amont, avant de commencer son enquête, ce que pourront être les conséquences de cacher sa qualité de journaliste.
Pris au piège

Ce qui s'est produit avec «Les Infiltrés» était prévisible. Quand on a pour principale méthode de dissimuler son identité et son statut de journaliste, on n'est plus tout à fait un journaliste. On nous dira que c'est arrivé à tout grand reporter, ou à tout enquêteur qui fouille dans des lieux peu recommandables. Mais ce qui a pu se produire pour un confrère en difficulté sur le terrain ou pour déjouer les pièges et les obstacles de certaines mafias n'est pas admissible comme mode habituel d'investigation. Sauf à se retrouver dans la peau du policier avec les habits en moins.

Dans ce cas, ne nous y trompons pas, l'opinion aura vite fait de nous coller l'uniforme et nous serons pris à notre propre piège. C'est toute la profession que ces méthodes mettent en danger. Car si on ment en tant que journaliste, même pour une bonne cause, c'est un contrat de confiance que l'on brise. Le citoyen lui, n'a pas tous les codes, il ne saura pas deviner quand les journalistes disent vrai et quand ils mentent, et il aura tendance à ne plus jamais les croire. Certains n'attendent que cela. C'est donc bien la crédibilité d'une profession qui est en jeu.

Dominique Gerbaud

Président de Reporters sans frontières
Samedi 10 Avril 2010
http://www.slate.fr/

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